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pointe de son couteau, le grossier dessin d un crne et de deux
os entrecroiss qu il avait ensuite badigeonn en rouge avec de
la laque de Chine. Le dessin s y trouvait tout entier, aussi frais
que jamais.
Dans cette mansarde tout inonde de lumire de la ferme
d Escampobar, le Peyrol aux cheveux gris ouvrit son coffre ; il
en retira tout le contenu, qu il dposa soigneusement sur le
plancher, et il tala son trsor, poches en dessous, plat sur le
fond qui en fut exactement recouvert. Puis, s affairant genoux,
il remit tout en place : une veste ou deux, une vareuse de drap
fin, le reste d un coupon de mousseline de Madapolam35, dont il
n avait que faire, et bon nombre de belles chemises blanches.
Personne n oserait venir fourrager dans son coffre, pensait-il,
avec l assurance de quelqu un qui, dans son temps, a su inspirer
la crainte. Alors il se releva et, parcourant la pice du regard
tout en tirant ses bras puissants, il cessa de penser son trsor,
l avenir et mme au lendemain, pntr soudain de la convic-
tion qu il serait dcidment fort bien dans cette chambre.
34
On voit mal comment Peyrol pouvait disposer de dollars avant
l poque de la Rvolution franaise, cette devise ayant t rpandue aux
tats-Unis en 1794, en Orient partir de 1873.
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Faubourg de la ville de Narasapur (tat de Madras en Inde) ; il a
donn son nom (mais en franais seulement) au tissu de coton qu on y
fabriquait dans les dbuts de la Compagnie des Indes orientales.
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IV
Devant un minuscule fragment de miroir suspendu au
montant de la fentre de l est, Peyrol se rasait avec son inusable
rasoir anglais, car ce jour-l tait un dimanche. Les annes de
bouleversements politiques, qui avaient abouti la proclama-
tion de Napolon comme consul vie, n avaient gure laiss de
traces sur Peyrol, si ce n est que sa puissante et paisse tignasse
tait devenue presque blanche. Ayant soigneusement rang son
rasoir, Peyrol introduisit ses pieds recouverts de chaussettes
dans une paire de sabots de la meilleure qualit et descendit
bruyamment l escalier. Sa culotte de drap brun n tait pas atta-
che aux genoux et il avait les manches de sa chemise releves
jusqu aux paules. Ce flibustier devenu campagnard tait pr-
sent tout fait son aise dans cette ferme qui, comme un phare,
commandait la vue de deux rades et de la haute mer. Il traversa
la cuisine. Elle avait le mme aspect que le premier jour o il
l avait vue : le soleil faisait tinceler les dalles : au mur, la batte-
rie de cuisine brillait de tous ses cuivres ; au milieu, la table soi-
gneusement frotte tait d une blancheur de neige ; seul le profil
de la vieille, la tante Catherine, tait devenu peut-tre un peu
plus anguleux. La poule qui, sur le seuil de la porte, tournait
prtentieusement le cou, aurait pu tre reste plante l depuis
huit ans. Peyrol la chassa d un murmure et alla dans la cour se
laver grande eau la pompe. En rentrant, il avait l air si frais
et si vigoureux que la vieille Catherine, de sa voix tnue, lui fit
compliment de sa bonne mine . Les manires avaient chan-
g : elle ne l appelait plus citoyen, mais Monsieur Peyrol. Il lui
rpondit immdiatement que si elle avait le cSur libre, il tait
prt la conduire sur-le-champ l autel. C tait l une plaisan-
terie si use que Catherine ne la releva en aucune manire, mais
elle le suivit des yeux tandis qu il traversait la cuisine pour pas-
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ser dans la salle frache dont on venait de laver les chaises et les
tables et o il n y avait me qui vive. Peyrol ne fit que traverser
la pice pour gagner le devant de la maison, et laissa ouverte la
porte d entre. Au bruit des sabots, un jeune homme assis de-
hors sur un banc tourna la tte et lui fit un signe nonchalant. Il
avait le visage assez allong, hl et lisse, le nez lgrement in-
curv, le menton trs bien dessin. Il portait une vareuse bleu
fonc d officier de marine, ouverte sur une chemise blanche et
un nSud coulant de foulard noir longues pointes. Une culotte
blanche, des bas blancs, et des souliers noirs boucles d acier
compltaient son costume. Une pe poigne de cuivre, dans
un fourreau noir accroch un ceinturon, tait pose terre
prs de lui. Peyrol, dont le visage rouge luisait sous les cheveux
blancs, s assit sur le banc quelque distance du jeune homme.
Devant la maison, le terrain rocailleux, nivel sur une petite
tendue, s inclinait ensuite vers la mer par une pente qu enca-
draient les minences formes par deux collines dnudes. Le
vieux forban36 et le jeune officier, les bras croiss sur la poi-
trine, regardaient dans le vague, sans changer la moindre pa-
role, comme deux intimes ou comme deux trangers. Ils ne fi-
rent pas mme un mouvement en voyant apparatre la bar-
rire de la cour le matre de la ferme d Escampobar, qui, une
fourche fumier sur l paule, commenait traverser le bout de
terrain plat. Avec ses mains noires, ses manches de chemise re-
leves, sa fourche sur l paule, toute son allure de travailleur en
semaine avait, ce dimanche, un air de manifestation ; mais le
patriote, dans la frache lumire du jeune matin, tranait ses
sabots crasseux avec un air de lassitude qu on n aurait pas vu
chez un vrai travailleur de la terre la fin d une journe de la-
beur. Il n y avait pourtant rien de dbile dans sa personne. Son
visage ovale aux pommettes rondes n avait pas une ride, si ce
n est au coin de ses yeux taills en amande, ces yeux brillants de
visionnaire, qui n avaient pas chang depuis le jour o le vieux
36
C est encore le mot rover qu on trouve ici ; le contexte invitait
cette fois le traduire par forban .
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Peyrol en avait crois le regard pour la premire fois. Quelques
poils blancs dans sa chevelure hirsute et dans sa barbe maigre
marquaient seuls la trace des ans : encore fallait-il y regarder de
prs. On et dit que, parmi les immuables rochers qui formaient
l extrmit de la presqu le, le temps tait rest immobile et
inerte tandis que, sur cette extrme pointe mridionale de la
France, les quelques tres perchs l n avaient cess de vaquer
leur labeur et d arracher le pain et le vin une terre martre.
Le matre de la ferme passa devant les deux hommes sans
cesser de regarder droit devant lui, et se dirigea vers la porte de
la salle, que Peyrol avait laisse ouverte. Il appuya sa fourche au
mur avant d entrer. Le son d une cloche lointaine, la cloche du
village o, des annes auparavant, le flibustier rentrant au pays
avait fait boire sa mule et cout la conversation de l homme au
chien, s leva faiblement et soudainement dans la grande paix
de l espace cleste. Le claquement violent de la porte de la salle
vint rompre le silence des deux contemplateurs de la mer.
Ce gaillard ne se repose donc jamais ? demanda ngli-
gemment le jeune homme, sans mme dtourner la tte, et sa
voix sourde couvrit le dlicat tintement de la cloche.
Pas le dimanche, en tout cas , rpondit Peyrol d un air
galement dtach. Que voulez-vous ! La cloche de l glise, a
lui fait l effet d un poison. Je crois vraiment que ce garon-l est [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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